lundi, août 10, 1992

Point final d'exclamation

Quand ils battent l’Islande 24-20 et terminent à la troisième place du tournoi, les Bleus restent eux-mêmes imprévisibles, enthousiastes, un peu cinglés et brillants A l’image de Thiebaut, fantastique gardien

CE n’est pas la finale des perdants. Ce n’est pas un lot de consolation. La rencontre de samedi dans le grand et beau palais des sports San Jordi a pour enjeu la médaille de bronze du tournoi olympique de handball. Les deux équipes la veulent. L’Islande pour éviter la quatrième place, la pire, et pour se hisser à nouveau dans l’élite mondiale de la petite balle. La France pour terminer en beauté l’aventure d’un groupe arrivé ici dans l’indifférence générale, bousculant tous les pronostics, frôlant la finale, plaisant autant par son jeu sur le terrain que par sa façon d’être en dehors du terrain, un peu cinglée, totalement cinglée même si l’on en croit leur entraîneur Daniel Costantini.

Elle est d’ailleurs étrange cette relation entre Costantini et ces seize garçons. A quatre minutes de la fin, il ne leur dit plus rien, reste dans son coin, histoire de bien leur montrer qu’il n’apprécie pas ce qui se passe. Non, il déteste voir les Bleus se mettre à jouer au fun-ball, genre facéties, passes dans le dos, trucs impossibles, gris-gris, et tout ça pour permettre à l’Islande de revenir à 23-20 alors que la France a compté jusqu’à sept buts d’avance. Costantini appelle ça « des moments de folie furieuse que rien ne justifie ». Il cartonne ses joueurs et les adore dans la seconde qui suit : « J’ai une équipe extraordinaire au sens littéral du terme. Je n’aime pas qu’on en rajoute quand un match est gagné, mais si c’est comme ça qu’ils voient les choses, je ne peux que m’incliner. ».

A 81 secondes de la fin, c’est plus fort que lui, il se lève, parce que, si l’Islandais lancé en contre-attaque marque, l’écart se réduira à deux buts, et tout peut être remis en cause. Costantini compte sur Thiebaut, le gardien français, et Thiebaut réussit l’impossible, une parade qui repousse un tir à bout portant. Cette fois, c’est fait. Le tableau d’affichage final indique 24 pour la France et 20 pour l’Islande. Médaille en poche. La joie est énorme. Les seize se lancent dans un tour d’honneur qui les fait rire et pleurer. Le public est debout, les ovationne tous, mais scande un seul prénom : « Jean-Luc ! Jean-Luc ! ».

C’est Jean-Luc Thiebaut, le dernier rempart français, l’un des meilleurs gardiens de ce tournoi. Ses prouesses ont étonné, épaté, enthousiasmé. Le joueur de l’US Ivry est de ceux qui ont tout connu avec cette équipe, les galères épouvantables comme les moments de bonheur. Confidences du gardien, à chaud après le match.

Sur les raisons de son tournoi exceptionnel. « C’est la question que je me pose le plus, et à laquelle je n’arrive pas à répondre. J’ai trente-deux ans, je commence à avoir de plus en plus de petits bobos, je récupère moins vite, et, là, pendant quinze jours, tout a marché à merveille. Je ne comprends pas. J’en arrive même à penser que c’est peut-être le peu de matches et d’entraînements que j’ai eus à la suite d’une blessure qui m’ont permis d’être au point physiquement, d’avoir du jus. » Sur cette médaille de bronze. « J’y penserai sûrement tout le reste de ma vie, sans doute parce que ça n’a jamais été un rêve pour moi de venir aux jeux Olympiques. Si on dit que c’est la plus belle des médailles françaises, c’est peut-être parce que c’était la plus inespérée. Avant les Jeux, j’avais lu qu’on ne figurait nulle part dans les vingt à quarante possibilités de médailles. Mais on s’est arraché, on a eu du coeur, et les gens nous ont découverts et appréciés pour ça. On a joué des matches très très durs, on a prouvé qu’on était capables de tenir tête aux meilleurs mondiaux, et il n’aurait pas été moral qu’on perde ce match pour la troisième place. ».

Sur l’avenir de cette équipe. « J’espère qu’on va confirmer dès l’an prochain. Mais il ne faut pas oublier qu’on est dans une poule difficile, qu’on va retrouver la CEI et la Suède, qui sont les finalistes olympiques. En 93, l’ossature de l’équipe devrait être la même. Ce sera plus difficile après, quand huit joueurs au moins vont décrocher. L’incertitude est aussi de savoir ce que va faire Daniel Costantini. On dit que c’est le magicien. Lui ramène tout à nous en disant qu’on l’a émerveillé, qu’on a fait des choses extraordinaires sans qu’il ait eu besoin d’intervenir. Mais c’est vrai qu’il a réussi à faire de nous des grands du handball ».

Sur la possibilité d’un effet hand en France. « Je n’en sais rien du tout. J’ai l’impression qu’il en existe un actuellement, mais on est trop loin pour s’en rendre compte. En 89, on a voulu créer un effet hand et ça n’a pas du tout marché. En 90, on a essayé de nouveau pendant la qualification pour les Jeux et ça n’a pas marché non plus. Alors cette fois je ne sais plus. Je ne sais pas si dans quinze jours, quand le championnat va recommencer, on parlera encore de nous. ».

Sur ses réactions quand son nom a été scandé par le public. « C’est vrai que c’est extraordinaire, mais je mets beaucoup ça sur le compte de la chance. ».

Sur son avenir. « Je continue jusqu’en 93 et après j’arrête. J’ai des enfants qui grandissent et j’ai envie de les voir, de m’amuser avec eux. Eux aussi. ».

De l’un de nos envoyés spéciaux Gilles Smadja

Article paru dans l'Humanité édition du 10 août 1992.