samedi, janvier 27, 2001

Ma carrière s'est arrêtée à Sidney

Avant d’affronter, ce soir, les Yougoslaves en match de poule, le sélectionneur de l’équipe nationale, qui met terme à sa carrière à la fin du Mondial, fait le bilan de ses seize années passées à la tête des Bleus. Sans état d’âme. Entretien.

C’est votre dernière compétition internationale en tant que sélectionneur de l’équipe de France, ressentez-vous une pression particulière ?

Daniel Costantini. Très honnêtement, j’en ressens nettement moins que les fois précédentes. Car pour moi, ma carrière s’est arrêtée à Sydney. J’y ai vraiment pris un coup derrière la tête. Tout le monde étant coupable, les joueurs, l’environnement et même moi. J’avais dit depuis le début qu’il fallait faire un paquet commun de la préparation des JO à la fin du Mondial, si j’avais agi autrement cela aurait été très incorrect vis-à-vis d’une fédération qui, si elle n’a pas toujours été à la hauteur de ce que j’espérais, m’a toujours soutenu en me laissant faire à peu près ce que je voulais. J’ai donc décidé de prolonger, car je pense être le plus à même de tirer le meilleur parti de l’équipe pour un mondial en France. Je suis un revenant, même pas un survivant. Je suis mort dans ma fonction à Sydney. Et là je reviens donner un coup de main pour une dernière échéance qui n’est pas vraiment la mienne. Je suis arrivé au bout de mon histoire.

On vous sent désabusé et nostalgique.

Daniel Costantini. Imaginez-vous remplir une fonction valorisante à tout point de vue et d’être à la veille d’arrêter. J’espère que ma vie de demain sera aussi riche d’émotions et de challenges. Je ne serai plus invité à Nulle Part ailleurs de ma vie ! (rires) Même si souvent on dit que la pression médiatique est pénible, qu’on le veuille ou non, c’est une sacrée façon d’exister. Oui, je suis inquiet de savoir si je vais pouvoir exister normalement, retrouver des centres d’intérêt aussi forts.

Que ferez-vous après le Mondial ?

Daniel Costantini. J’ai émis le voeu de rester au sein de la fédération pour faire de la formation des cadres, théoriser sur la pratique en écrivant des ouvrages qui manquent cruellement dans ce sport, m’occuper de mettre en place une ligue pseudo-professionnelle qui manque de supports en ce moment, aider les entraîneurs de club. Pour le moment, je n’ai eu aucune proposition tangible de la fédération. Mais vous savez, je suis fonctionnaire, payé par le ministère de la Jeunesse et des Sports, donc on me trouvera bien quelque chose.

Entraîner un club français ou étranger ?

Daniel Costantini. Ce serait vraiment en dernier recours. J’ai l’intention de travailler jusqu’à soixante-cinq ans et j’en ai cinquante-huit. J’aimerais bien que mon dernier entraînement soit avec l’équipe de France. Mais comme je n’ai pas que des amis dans le monde fédéral, car je n’ai pas toujours été très diplomate... Dès qu’on cesse d’avoir une position dominante, on n’est plus à l’abri de règlements de comptes...

Pensez-vous que le handball aujourd’hui se trouve à sa vraie place ?

Daniel Costantini. À certains moments, nous avons peut-être eu des petites poussées de fièvre qui étaient probablement décalées par rapport à notre réalité. On souhaiterait une médiatisation beaucoup plus grande car tout est vraiment indexé sur l’heure d’antenne à la télévision. Si on n’est pas superbement placés, il y en a à notre niveau qui le sont encore moins. Si j’avais des griefs à formuler, je demanderais juste si notre fédération européenne est vraiment soucieuse de faire du hand un des tout premiers sports ?

Comment expliquez-vous votre longévité (de 1985 à 2001) ?

Daniel Costantini. J’ai longtemps aspiré à ce poste que j’ai occupé pendant seize années, j’en rêvais. Ensuite, je n’ai eu de cesse de vouloir y rester. Je n’ai jamais pensé que je pouvais me sentir mieux ailleurs. On peut dire que je me suis accroché à mon fauteuil. Mais j’ai eu des épées de Damoclès au-dessus de ma tête qui sont la nécessité récurrente de résultats.

" Les joueurs passent, Costantini reste ". Avez-vous eu ce sentiment ?

Daniel Costantini. La jeune génération s’est rebiffée à Sydney puisque c’est plus de sa part que j’ai ressenti des reproches que de la part des glorieux anciens. Il fallait bien que ça arrive un jour. C’est vrai que je me suis cru obligé d’instaurer un " turn-over " dans la mesure où, mis à part entre 1992 et 1996, aucun groupe n’a jamais réussi à se pérenniser. Les joueurs ne me paraissaient plus en phase avec mes demandes et je n’avais pas envie de faire de compromis. J’ai peut-être été un peu brutal en écartant des joueurs qui sont encore aujourd’hui excellents en clubs.

Vous êtes en haut de l’affiche depuis l’arrivée de Jackson Richardson en 1990. Avez-vous l’impression de lui devoir beaucoup ?

Daniel Costantini. C’est un constat qu’il faut avoir l’honnêteté de faire. Est-ce une coïncidence ou la réalité mais, dès qu’il est arrivé, l’équipe de France a vraiment gravi les échelons définitifs vers les sommets. Quand on est rationnel comme moi, on est bien obligé de reconnaître qu’il doit bien y être pour quelque chose.

Quel bilan faites-vous de votre carrière ?

Daniel Costantini. Je n’aurais jamais cru que l’équipe de France atteigne de tels sommets. Je voulais des résultats dignes pour mon sport, c’est-à-dire se qualifier pour toutes les grandes compétitions internationales. Cependant, aujourd’hui, on est revenu à une place un peu plus conforme à la véritable valeur du handball français dans son ensemble. J’ai parfois souffert de la fonction que j’occupais, mais en prenant du recul, le palmarès ne peut que me remplir d’une certaine fierté.